Et si Dany Laferrière était Legba dans « L’Énigme du retour »?

 Et si Dany Laferrière était Legba dans « L’Énigme du retour »?

« L’Énigme du retour », selon plus d’un, est un roman iniatique. À la fin de ce livre, une lecture attentive invite le lecteur à voir en Dany Laferrière non seulement l’écrivain en exil, mais aussi une figure quasi-mythologique, comparable à Legba, le dieu vaudou. Legba, ce gardien des carrefours qui se tient à la frontière du monde visible et du monde invisible, symbolise le passage, l’ouverture vers l’inconnu et la possibilité de transcender les limites imposées par le temps et l’espace. Cette analogie ne serait pas anodine : elle permet d’envisager l’œuvre de Laferrière comme une quête initiatique, où le voyage intérieur et le retour aux origines se conjuguent pour donner naissance à un univers miraculeux.

Dans la tradition vaudou, Legba occupe une place essentielle. Il est celui qui ouvre la porte vers l’autre monde, celui où le tangible et l’intangible se rejoignent. À l’image de ce dieu, Dany Laferrière, à la fin de son récit, semble avoir su franchir le seuil entre l’exil et le retour, entre le passé douloureux et l’avenir porteur d’espérance. En prenant le rôle de Legba, l’écrivain ne se contente pas de narrer une histoire personnelle ou collective ; il réinvente le sens du voyage et redéfinit le lien entre le rêve et la réalité.

Cette métaphore renvoie à l’idée du « non-lieu de l’écriture », un espace littéraire où se confondent la mémoire, le mythe et l’imaginaire. Là où le temps s’efface, où l’espace se dilate, Laferrière parvient à créer un pont entre les mondes. Le récit ne se limite plus à un retour géographique, mais s’inscrit dans une dimension quasi-céleste, où la frontière entre vie et mort, entre exil et retour, se fait poreuse.

En se rapprochant de la figure de Legba, Dany Laferrière démontre sa capacité à imaginer un univers où le rêve et la réalité se fondent harmonieusement. Cette fusion est au cœur de son œuvre : il invite le lecteur à dépasser les apparences, à s’immerger dans un monde où chaque élément, chaque souvenir, se transforme en une passerelle vers une compréhension plus profonde de soi et de ses origines. Le rôle de Legba n’est pas uniquement celui d’un gardien, mais aussi celui d’un facilitateur, d’un guide qui permet de franchir les barrières imposées par la condition humaine.

Ainsi, l’écrivain exilé se transforme en une figure divine, capable de réconcilier des contraires, de réunir l’intime et l’universel. La clôture de « L’Énigme du retour »se veut alors la consécration d’un voyage initiatique : le retour chez soi, non pas uniquement sur le plan géographique, mais surtout sur le plan spirituel et existentiel. C’est dans ce « non-lieu de l’écriture » que s’opère la magie, ce moment où le récit devient le reflet d’une quête d’identité et d’appartenance qui transcende les frontières.

Prendre Dany Laferrière pour Legba, c’est aussi reconnaître la capacité de l’écrivain à dépasser le temps et l’espace. En assumant ce rôle divin, il ne se contente plus d’explorer les méandres de la mémoire et de l’exil ; il transcende les limites imposées par la condition humaine pour toucher à l’universel. Dans cet espace liminal, le voyage devient une expérience de transformation, où le passé et le présent se conjuguent pour ouvrir les portes de l’avenir.

La dernière page de « L’Énigme du retour » n’est pas simplement la conclusion d’un récit d’exil ; elle incarne la fin d’un voyage intérieur et, paradoxalement, le début d’une nouvelle existence. En se positionnant comme Legba, Laferrière offre à son lecteur une clé pour interpréter l’œuvre non pas comme une narration linéaire, mais comme une invitation à explorer les multiples dimensions de l’être.

La figure de Legba, avec son pouvoir d’ouvrir les portes de l’invisible, symbolise l’espoir et la résilience. Elle rappelle que, malgré les obstacles, il existe toujours un chemin vers la réconciliation avec soi-même et avec ses origines. Le retour chez soi, loin d’être un simple retour en arrière, se révèle être un passage vers une compréhension plus profonde du monde, un renouveau constant où chaque fin annonce un nouveau commencement.