L’histoire de « Je vais » de Fabrice Rouzier

 L’histoire de « Je vais » de Fabrice Rouzier

Plus de deux décennies après sa sortie, une chanson emblématique du répertoire « twoubadou »haïtien refait surface, mais cette fois dans un contexte de litige international. Intitulée « Je vais », l’œuvre signée par Fabrice Rouzier et interprétée par le groupe Mizik Mizik dans les années 2000, se retrouve aujourd’hui au cœur d’une bataille juridique opposant son auteur aux artistes internationaux Joé Dwèt Filé et Burna Boy.

Sortie en 2002 sur la compilation Haïti Twoubadou Volume 3, la chanson « Je vais » est une perle du genre « twoubadou », mêlant humour, satire sociale et double-sens dans un style typiquement haïtien. Portée par la voix d’Éric Charles, l’humour de Tonton Bicha et même une apparition inattendue de Michel Martelly (alias Sweet Micky), le morceau raconte une conversation burlesque entre un vieil homme et une femme, autour d’un quiproquo à caractère sexuel. L’une des phrases les plus mémorables — « Chérie, ou sou sa kampe » — est devenue culte dans le langage populaire haïtien.

C’est cette même phrase et d’autres éléments mélodiques qui ont suscité la colère de Fabrice Rouzier en 2024, lorsqu’il découvre le morceau « 4 Kampe » publié par Joé Dwèt Filé. Estimant que cette œuvre emprunte sans autorisation à « Je vais », Rouzier adresse une mise en demeure à l’artiste franco-haïtien. Selon les documents juridiques récemment déposés devant un tribunal de New York, Joe aurait reconnu l’emprunt, mais a tout de même poursuivi avec la sortie d’un remix international en mars 2025, cette fois en collaboration avec Burna Boy, icône de l’afrobeats nigérian.

Pour Fabrice Rouzier, cette utilisation non autorisée constitue une violation manifeste de ses droits d’auteur. Il accuse les deux artistes d’avoir délibérément exploité un contenu volé pour en tirer profit. Il réclame des dommages-intérêts, le remboursement de ses frais juridiques, ainsi qu’une injonction pour retirer les deux versions de la chanson du marché.

L’affaire met en lumière une tension croissante dans l’industrie musicale : la porosité entre culture populaire locale et création artistique globale. De nombreux artistes haïtiens, souvent non protégés sur le plan juridique, voient leurs œuvres réutilisées, remixées ou copiées sans reconnaissance ni compensation. Le cas de « Je vais » pose donc un précédent important en matière de protection des patrimoines musicaux des pays du Sud, surtout à l’ère du numérique où les frontières culturelles sont de plus en plus floues.

Alors que la procédure suit son cours au tribunal fédéral du district Est de New York, ni Joé Dwèt Filé ni Burna Boy ne se sont encore exprimés publiquement. En Haïti, la polémique ravive le débat sur la valorisation et la défense du patrimoine musical national, tout en rendant hommage à une chanson qui, malgré le temps, n’a rien perdu de sa pertinence.