Ulrick Pierre-Louis : un pilier de la culture musicale haïtienne enfin révélé

 Ulrick Pierre-Louis : un pilier de la culture musicale haïtienne enfin révélé

L’on a surtout tort de croire qu’on est en panne de modèle en Haïti. Des visages tels que celui d’Ulrick Pierre-Louis prouve que l’on a raison. Né le 22 septembre 1928 à Duty, petite localité de la commune de l’Acul-du-Nord, Ulrick Élima Solon Pierre-Maurice Louis, plus connu sous le nom de Ulrick Pierre-Louis, incarne l’itinéraire rare d’un homme qui a fait de la musique sa vocation, son moyen de survie et son legs culturel.

À travers un nouvel ouvrage signé Islam Louis Étienne, disponible à la 31ᵉ édition de Livres en Folie, la vie et l’œuvre de ce maestro exceptionnel sont enfin mises en lumière avec la précision qu’elles méritaient.

Orphelin de mère à sept ans, puis de père en 1946, Ulrick Pierre-Louis découvre très tôt la rudesse de l’existence. C’est toutefois dans cette précarité que va s’ancrer sa destinée musicale. Son père, Constant Pierre-Louis, musicien et ancien membre de la fanfare du Cap-Haïtien, lègue à ses fils une passion inaltérable pour la musique. Avec son frère Lucien, Ulrick trouve dans les notes et le rythme une échappatoire aux deuils précoces, mais surtout un outil de résilience.

C’est dans les salles de classe, à travers l’apprentissage du solfège, qu’Ulrick Pierre-Louis jette les bases de ce qui deviendra un parcours musical exceptionnel. La mort de son père en 1946 constitue un tournant. N’ayant pour seul capital que la musique, il en fait son métier. Le jeune homme autodidacte s’illustre très vite comme saxophoniste, mais aussi comme arrangeur, chef d’orchestre et compositeur.

En 1955, une parenthèse surprend les fidèles du Jazz Septentrional, l’orchestre mythique du Nord d’Haïti. Ulrick s’essaie brièvement à d’autres horizons en rejoignant l’orchestre du Riviera Hôtel, sous la direction de Guy Durosier. Une « infidélité » de courte durée qui faillit toutefois compromettre la stabilité de Septentrional, avant qu’il ne revienne reprendre les rênes.

Mais Ulrick Pierre-Louis n’est pas seulement un maestro. C’est également un entrepreneur culturel visionnaire. Sous son impulsion, le Jazz Septentrional devient une véritable institution musicale. Il fonde une maison de production, un night-club, un ciné-théâtre, et même un restaurant. Loin d’une simple carrière d’artiste, c’est toute une industrie musicale qu’il tente de structurer dans le contexte difficile d’Haïti.

Son leadership est tel qu’en 1986, année qualifiée par l’auteur de « sombre » à cause de la mort de deux piliers de l’orchestre, Roger Colas et Alfred Moïse, il parvient tout de même à maintenir l’élan de Septentrional. Cette capacité à rassembler, à mobiliser, à innover dans l’adversité fait de lui une figure incontournable de la musique haïtienne.

Dans son ouvrage Islam Louis Étienne ne nous présente pas seulement le génie musical, mais aussi l’homme derrière l’icône. Le livre revient avec émotion sur des drames personnels, comme le bal du 7 février 1965, au Rumba Night Club, où Antoine Piquion fut tué, ou encore la mort subite de Ninotte Charles-Pierre, première épouse du maestro, victime d’une fausse nouvelle sur la mort de son mari.

Le récit s’attarde également sur ses derniers jours, entouré des médecins Paul Berne et Harry Prophète, ainsi que des femmes qui l’ont hébergé avec une touchante dévotion : Denise Pierre Delva et Rose Bertha Étienne, dite Marie-Lourdes.

La trajectoire d’Ulrick Pierre-Louis soulève une question fondamentale : comment protéger ce pan du patrimoine culturel haïtien ? L’auteur insiste sur le caractère exceptionnel de l’orchestre Septentrional, la plus ancienne formation de musique urbaine encore active en Haïti, qui célèbre 75 années d’existence ininterrompue – un record dans toute la Caraïbe. Cette longévité est en grande partie due à l’organisation rigoureuse mise en place, notamment par le Conseil supérieur qui veille sur le groupe.

Ce livre s’inscrit dans une démarche de mémoire. Il vient compléter un premier volume consacré à Alfred Moïse, compositeur prodige et bras droit du maestro. Ensemble, ces deux ouvrages bâtissent un panthéon littéraire et historique pour les figures majeures du Septentrional.

Dans une phrase choc, Islam Louis Étienne résume une réalité troublante : « En Haïti, contrairement aux pays sérieux, on tue les modèles et nous disons à la postérité qu’ils n’ont jamais existé. » Ce livre, au-delà de l’hommage, est donc un acte de justice mémorielle. Il rappelle qu’Ulrick Pierre-Louis est non seulement un pionnier de la musique haïtienne, mais aussi un symbole de résilience, de discipline et de génie créatif, que le pays se doit de célébrer et transmettre aux générations futures.