Dans un pays habitué à gérer l’urgence plutôt qu’à construire l’avenir, il est rare d’entendre une voix aussi claire, ferme et rigoureuse que celle d’Etzer Emile. Ce mercredi 9 juillet 2025, à l’occasion d’un échange organisé dans le cadre du Programme d’appui à la gouvernance (PAG), l’économiste a brisé le confort des analyses superficielles pour rappeler une vérité dérangeante : la crise que traverse Haïti n’est ni soudaine, ni nouvelle. Elle n’est pas née en 2025, ni même en 2021 lors de l’assassinat du président Jovenel Moïse. Elle est bien plus ancienne. Silencieuse au départ, devenue insoutenable avec le temps.
Selon lui, ce que le pays vit aujourd’hui n’est pas une cassure ponctuelle, mais le résultat prévisible d’un système qui n’a jamais véritablement fonctionné. Le vrai problème, ce n’est pas seulement l’accumulation d’événements tragiques, mais plutôt l’incapacité historique à gouverner. Une absence de vision, de discipline institutionnelle, de respect des règles élémentaires de gestion publique. « Nous payons aujourd’hui le prix d’une faiblesse structurelle qu’on a trop longtemps ignorée », martèle-t-il.

L’un des constats les plus lourds qu’il pose : depuis plus de cinq ans, Haïti évolue en dehors de sa propre Constitution. Le Parlement est dysfonctionnel depuis sa dissolution, et l’État agit en l’absence de toute légitimité populaire. Plus de dix ans sans élections un chiffre qui dit tout. À ce rythme, peut-on encore parler de république ? Peut-on encore parler de démocratie ? Rien n’est moins sûr.
Trois enjeux fondamentaux ressortent de cette déchéance institutionnelle :
La gouvernance, ou plutôt son effondrement progressif ;
La sécurité, devenue un luxe dans plusieurs zones du territoire ;
Et les élections, sans lesquelles le contrat social s’érode jusqu’à disparaître.
Mais cette dérive politique ne saurait faire oublier une réalité tout aussi douloureuse : la crise économique. Là encore, Etzer Emile invite à ne pas céder à l’illusion d’une catastrophe soudaine. Non, cette crise n’a pas commencé hier. Cela fait plus de dix ans depuis août 2015 qu’Haïti vit avec une inflation à deux chiffres. Une hémorragie économique chronique qui détruit lentement mais sûrement le tissu social, épuise les ménages, étouffe les petites entreprises, et désespère la jeunesse.

Chaque jour, le coût de la vie grimpe, pendant que les revenus stagnent ou s’évaporent. Le peuple s’adapte tant bien que mal, non pas grâce à des politiques publiques efficaces, mais grâce à sa résilience. Une résilience qu’on admire trop souvent au lieu de la respecter en y répondant par des actions concrètes.
En définitive, ce que cette conférence a permis de mettre en lumière, c’est l’étendue du désastre… mais aussi la nécessité d’un sursaut. Haïti n’est pas seulement en crise. Elle est arrivée à un tournant existentiel. Et refuser de le reconnaître, c’est déjà choisir le naufrage.















