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Regarder vers la terre : repenser la place du monde rural en Haïti

En Haïti, évoquer le monde rural revient à parler de l’histoire profonde du pays, celle qui ne s’écrit pas dans les grandes villes mais sur les pentes des mornes, dans les champs silencieux et les gestes patients de celles et ceux qui vivent de la terre. Il s’agit d’une réalité enracinée, bien plus vaste qu’un simple groupe social : c’est une manière d’exister, d’interagir avec l’environnement, de faire vivre un patrimoine immatériel hérité de générations.

Ces femmes et ces hommes, trop souvent laissés en marge, sont pourtant les premiers gardiens de l’équilibre alimentaire du pays. À force de sueur et de ténacité, ils cultivent une diversité de produits locaux : pois congo, manioc, maïs, patate douce, fruit à pain… En dépit de l’oubli institutionnel et des bouleversements économiques, ils poursuivent leur mission, avec peu de moyens mais une résilience impressionnante.

La paysannerie haïtienne ne se limite pas à une fonction nourricière. Elle porte aussi une vision du monde où l’humain reste lié à la nature, où la terre est traitée avec respect, où la production ne se fait pas au détriment de l’environnement. Sans grande machinerie ni engrais chimiques à outrance, nombre de cultivateurs s’appuient sur des savoir-faire éprouvés : culture en terrasse, association de plantes, préservation des variétés traditionnelles. Leur modèle d’agriculture, encore vivace dans plusieurs régions, contraste fortement avec les systèmes intensifs destructeurs qui appauvrissent les sols ailleurs.

Dans le contexte actuel où les catastrophes écologiques s’accumulent, ce type d’agriculture constitue un rempart naturel contre l’érosion, la déforestation et la dépendance alimentaire. Elle propose une voie alternative, plus durable et plus adaptée à la réalité du territoire.

Pourtant, malgré cette importance stratégique, les paysans et paysannes continuent d’être invisibles dans les grandes orientations nationales. Ils sont souvent réduits à une force de travail anonyme, rarement consultés, peu soutenus, et confrontés à des défis constants : accès à la terre, moyens de production, instabilité des prix, insécurité, manque de formation. Le système leur demande beaucoup, mais leur donne peu.

Il devient urgent de changer cette logique. Revaloriser le secteur paysan, c’est renforcer la souveraineté alimentaire du pays, redynamiser les zones rurales, freiner l’exode, et restaurer un équilibre entre les espaces urbains et les campagnes. C’est aussi reconnaître qu’une nation ne peut se construire sans respecter ceux qui, chaque jour, cultivent le sol qui la porte.

Penser l’avenir d’Haïti sans la paysannerie, c’est ignorer une partie essentielle de sa réalité. À l’inverse, la soutenir pleinement pourrait être un des leviers les plus puissants pour bâtir un futur plus juste, plus autonome et plus en harmonie avec les ressources du pays. La terre est là, les savoirs aussi : reste à leur donner la place et le respect qu’ils méritent.RéagirRépondre

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