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Jacmel, là où la fête patronale devient patrimoine

Il y a des traditions qu’aucune crise, qu’aucune époque ne parvient à effacer. À Jacmel, la fête patronale du premier mai est bien plus qu’un événement culturel : c’est un acte de foi, une déclaration d’amour à une ville qui, chaque année, rappelle au pays entier qu’elle est le cœur battant de l’art, de la joie, et de la mémoire collective.

Ce 1er mai 2025, la ville s’est réveillée sous un soleil bienveillant, comme pour saluer les centaines de visiteurs déjà rassemblés dans ses rues pavées. Malgré les vents contraires qui soufflent sur Haïti, Jacmel a tenu sa promesse : offrir au peuple une parenthèse de lumière, un moment de répit où la beauté, la culture et la convivialité reprennent leurs droits. Car si partout ailleurs le silence et la peur dominent, ici, le tambour, les voix, les parfums et les sourires font résistance.

L’Université Notre-Dame d’Haïti (UNDH), implantée dans la ville, a joué un rôle central dans cette édition. Avec une envergure jamais vue depuis des années, elle a coordonné une foire qui a transformé Jacmel en un véritable carrefour de découvertes. Sous les tentes colorées, les visiteurs ont goûté au savoir-faire culinaire du Sud-Est : akasan bien épais, lalo aux crevettes fumées, beignets croustillants de banane pesée servis avec des sauces aux arômes de thym, de citron, et d’histoire.

Mais ce n’était pas qu’une affaire de papilles. Les yeux aussi étaient invités à voyager. Les artisans avaient sorti leurs plus belles pièces : colliers de graines, tableaux en papier mâché, sculptures de bois flotté, chapeaux en latanier tressé avec minutie. Chaque objet racontait une part du territoire, de son peuple, de ses combats silencieux.

« Mwen t ap viv lontan, men jan premye me sa fèt lan Jacmel, mwen pa janm wè l konsa. Sa ban m kouraj poum kwè tout bagay pa fini nèt », confie Manno, 56 ans, ancien tailleur reconverti en guide culturel. Il marche lentement avec sa canne, mais ses yeux brillent avec la même intensité que ceux d’un enfant devant une fanfare.

Tout au long de la journée, la ville s’est transformée en une grande scène vivante. Jeux traditionnels pour les enfants — billes, corde, ti patat — ont réveillé des souvenirs enfouis. Des artistes locaux ont pris possession de la rue, jonglant entre slam, danse, conte et musique live. Et quand le soleil a commencé à descendre doucement vers la mer, c’est le son des tambours, mêlé aux notes d’un saxophone nostalgique, qui a enveloppé la ville d’une chaleur familière.

« Jacmel, se li ki premye chak ane. Se pa ti bagay. Gen vil ki konn eseye fè fèt patronal, men yo pa ka mete l sou do Jacmel non », lance Rosemène, étudiante en communication. Pour elle, cette fête est une promesse qu’elle se fait chaque année : revenir, célébrer, se reconnecter à son identité.

La fête patronale de Saint Jacques et Saint Philippe n’est pas simplement religieuse. Elle est profondément sociale. Elle redonne sens à la rue, redonne souffle au commerce local, et rappelle à chacun que même dans le chaos ambiant, la culture reste un refuge, une force, une arme douce mais puissante.

Ce 1er mai, Jacmel n’a pas seulement fêté ses saints. Elle a fêté sa résistance, sa beauté, et son art de vivre. Elle a rappelé au pays que tant qu’elle dansera, Haïti ne sera jamais totalement perdue.

CP: Agena Sophia

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