Le rideau est tombé sur l’une des figures les plus emblématiques de la musique haïtienne. Joe Jack, de son vrai nom Joseph Jacques, est décédé ce vendredi matin à Montréal, à l’âge de 88 ans. Accordéoniste-chanteur de talent, aveugle de naissance, il a su conquérir les cœurs malgré un parcours semé d’embûches.
Né le 25 mai 1936 aux Gonaïves, Joe Jack a grandi dans un environnement hostile où les superstitions entourant le handicap visuel nourrissaient rejet et marginalisation. À un an, le diagnostic de sa cécité fut posé. À cinq ans, exclu de l’école pour avoir réduit en lambeaux son manuel scolaire en tentant de lire avec ses doigts, il commence une vie marquée par la solitude. Très tôt, il fait face à l’abandon, aux séparations familiales, à l’exclusion, et même à une tentative de suicide à 22 ans, après une série d’épreuves.
Mais la musique devint sa lumière. Envoyé à Boston en 1955 pour intégrer la célèbre Perkins School for the Blind, il y découvre non seulement la rigueur musicale, mais aussi les affres du racisme. Ce séjour n’entame cependant pas sa détermination. De retour en Haïti, il enseigne l’anglais à l’école Saint-Vincent pour enfants handicapés et fonde, en 1965, sa première formation musicale, Les Quatre Cloches.
Avec son accordéon et sa voix chaude, Joe Jack s’impose comme une référence musicale dans les années 1970 et 1980. Son style, qui fusionne boléro et compas, charme les salons chics de Port-au-Prince mais touche également les foules. Ses morceaux, tels que Voyou voyelle, Timidité, Entre te voir et t’aimer ou Pwofesè lekòl, résonnent encore dans les mémoires. Il enregistre au moins huit albums, dont Love Story (1979), Simplement Joe (1979), et Live in New York (1982), devenus des classiques.
Contraint de quitter Haïti au milieu des années 1980, Joe Jack s’installe à Montréal, où il vit pendant plusieurs années sans statut légal avant d’obtenir sa résidence permanente en 1992. Malgré l’exil, les épreuves et un AVC en 2004 qui le prive de l’usage de son bras droit, l’artiste ne renonce jamais à son amour pour la musique. Le documentaire Joe Jack : Cœur de lion, réalisé par Paul-Henry Athis, témoigne de cette résilience hors du commun.
L’histoire de Joe Jack est celle d’un homme qui a transcendé le rejet et les limites pour offrir à son pays une œuvre profondément humaine et inspirante. Artiste complet, professeur, modèle de persévérance, il aura, toute sa vie, joué un rôle une partition en contrepoint du destin. Joe Jack n’est plus. Mais ses chansons continuent de chanter pour lui.