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Les cerfs-volants de la semaine pascale : une tradition haïtienne qui s’effiloche dans le vent

Chaque année, à l’approche de la semaine sainte, le ciel haïtien s’animait autrefois de couleurs vives et de formes diverses, portées par la brise printanière : c’étaient les cerfs-volants, ou « kap» joyaux d’une tradition populaire profondément enracinée dans la culture pascale haïtienne. Aujourd’hui, cette pratique emblématique s’efface peu à peu du paysage, emportée par les vents du changement social, économique et culturel.

Le vol des cerfs-volants pendant la semaine pascale, en particulier le vendredi saint, n’est pas qu’un simple jeu d’enfants. Il s’agit d’un rituel symbolique où les Haïtiens, petits et grands, envoient dans le ciel des morceaux de bambou, de papier coloré et de ficelle tressée, représentant tantôt la liberté, tantôt l’élévation spirituelle de l’âme.

Confectionnés à la main, ces cerfs-volants étaient aussi un prétexte pour rassembler les familles, les amis et les quartiers entiers. C’était une activité intergénérationnelle où l’on apprenait à construire, à réparer, à faire voler… et parfois à faire « bagarre de kap ».

Depuis quelques années, cette tradition tend à disparaître, et plusieurs raisons l’expliquent. L’urbanisation galopante rend difficile la pratique dans les villes : les fils électriques, l’exiguïté des espaces et la densité urbaine rendent les envols périlleux. L’insécurité grandissante empêche les jeunes de s’aventurer dans les zones ouvertes, notamment les mornes ou les terrains vagues qui étaient autrefois les lieux privilégiés pour ces envolées. La mondialisation culturelle et le numérique captivent davantage les jeunes, qui préfèrent passer leur temps sur les réseaux sociaux, les jeux vidéo ou les plateformes de streaming, délaissant ainsi les traditions manuelles.

D’autre part, le coût des matériaux comme le papier, le bambou ou la colle devient aussi un obstacle, surtout dans un contexte de précarité économique. Des villes comme la Vallée de Jacmel avaient l’habitude d’organiser « Festi Cap », il y a pas longtemps. En effet, les régions rurales sont les derniers remparts de cette tradition.

Plus qu’un jeu ou une coutume saisonnière, le cerf-volant pascal portait des valeurs : créativité, patience, solidarité. Sa disparition est le reflet d’une société qui perd peu à peu le contact avec certaines formes d’expression culturelle populaire. Pour les aînés, c’est une page qui se tourne. Pour les plus jeunes, c’est un pan de l’histoire culturelle nationale qu’ils risquent de ne jamais connaître.

Certaines écoles, associations culturelles ou collectivités locales pourraient jouer un rôle dans la réhabilitation de cette tradition : concours de cerfs-volants, ateliers de fabrication artisanale, intégration dans les programmes scolaires ou valorisation médiatique sont autant de pistes à explorer.

Le cerf-volant de la semaine pascale est bien plus qu’un objet volant : il est un symbole d’identité, de transmission et de joie collective. S’il continue de disparaître dans l’indifférence, ce ne sont pas seulement des morceaux de papier qui cesseront de voler, mais aussi une partie de l’âme populaire d’Haïti qui tombera à terre. À nous tous de faire en sorte que le vent de la modernité ne souffle pas entièrement sur nos traditions.

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