En Haïti, les marchandes de feuilles occupent une place centrale dans le tissu social et économique. Elles ne se contentent pas de vendre des plantes, mais incarnent un savoir ancestral, une tradition qui lie la communauté à la nature et aux pratiques de guérison. Ces femmes, présentes dans les rues de Port-au-Prince, notamment à Delmas, Gérald Bataille, et Pétion-Ville, ainsi que dans de nombreuses villes de province, sont souvent perçues comme des figures de confiance et de soutien pour leurs familles et leurs voisins.
La connaissance des vertus curatives des plantes en Haïti n’est pas simplement un ensemble de recettes ; elle est profondément enracinée dans des pratiques culturelles et spirituelles. Les marchandes de feuilles apprennent dès leur enfance, souvent en accompagnant leur mère dans la cueillette des plantes. Ce savoir se transmet de génération en génération, tout comme les valeurs et les traditions familiales. Marlène, marchande de feuilles à Pétion-Ville, partage son expérience : « Depuis plus de dix ans, je vends des fleurs. Cela m’a permis de subvenir aux besoins de ma famille tout en honorant un savoir hérité de ma mère. »


Les enseignements sur les propriétés des plantes sont souvent transmis par des figures religieuses du vaudou, comme le hougan ou la mambo, qui transmettent leur savoir aux initiées. Cette formation ne se limite pas à la simple identification des plantes, mais inclut également des connaissances sur leurs usages, leurs effets et leurs associations. Les marchandes de feuilles deviennent ainsi des praticiennes expérimentées, capables de recommander les remèdes appropriés en fonction des maux de leurs clients.
La cueillette des plantes médicinales est un acte sacré qui exige une attention particulière et un respect de la nature. Les marchandes de feuilles doivent savoir quand et comment cueillir. Certaines plantes doivent être récoltées à des moments précis, comme le matin ou le soir, ou en fonction des phases de la lune. Ce savoir, acquis au fil du temps, permet de maximiser l’efficacité des remèdes. Par exemple, certaines plantes ne conservent leurs vertus que lorsqu’elles sont cueillies à un moment particulier ou lorsqu’elles sont utilisées fraîches.
Avant de couper une plante, la marchande prononce des mots secrets qui établissent une connexion entre elle et la plante, respectant ainsi son âme. Cette pratique témoigne de la spiritualité qui entoure leur travail, marquant la frontière entre la science empirique et les croyances spirituelles. Les mots de ces incantations sont souvent transmis par les générations précédentes, faisant partie intégrante du savoir ancestral.
La relation entre une marchande de feuilles et sa clientèle va bien au-delà d’un simple échange commercial. Chaque famille a souvent sa propre marchande, avec laquelle elle a établi un lien de confiance. Cela est particulièrement important dans un contexte où l’accès à des soins de santé adéquats peut être limité. La marchande de feuilles devient alors un pilier de la communauté, offrant des remèdes aux maladies courantes tout en fournissant un soutien émotionnel.
Les marchandes de feuilles ne se contentent pas de vendre des plantes ; elles prennent également le temps d’écouter les préoccupations de leurs clients. Cette écoute active leur permet de conseiller efficacement, en déterminant non seulement la plante la plus appropriée mais aussi la méthode de préparation. La connaissance de la posologie est essentielle, car certaines plantes peuvent être toxiques si elles ne sont pas correctement dosées ou préparées.
Les plantes médicinales ne sont pas simplement des ressources naturelles, mais portent aussi un riche héritage culturel. La tradition de la médecine par les plantes en Haïti est profondément ancrée dans le vaudou, où chaque plante peut être associée à des esprits ou à des loas qui en renforcent les propriétés curatives. Cela montre l’importance de l’interconnexion entre les vivants et le monde spirituel. La divinité Grand Bois, par exemple, est considérée comme le gardien du savoir sur les plantes médicinales, transmettant ses connaissances aux marchandes de feuilles qui, à leur tour, les partagent avec la communauté.
Cette dimension spirituelle ajoute une couche de respect et de sacralité à leur pratique. Les marchandes de feuilles sont souvent perçues comme des médiatrices entre le monde matériel et spirituel, renforçant ainsi leur statut au sein de la communauté. Leur rôle est d’autant plus significatif dans un pays où la spiritualité et les croyances traditionnelles jouent un rôle central dans la vie quotidienne.
Malgré leur contribution indéniable à la santé et au bien-être de la population, les marchandes de feuilles font face à de nombreux défis. Le manque de reconnaissance officielle et les pressions de la médecine moderne peuvent parfois réduire leur influence. Pourtant, leur rôle est essentiel, surtout dans un pays où les systèmes de santé sont souvent inaccessibles ou inefficaces.
Promouvoir l’utilisation des remèdes naturels et valoriser le savoir des marchandes de feuilles pourrait non seulement améliorer la santé publique, mais aussi renforcer l’identité culturelle haïtienne. Cela pourrait aussi inciter les jeunes générations à s’engager dans cette tradition, assurant ainsi sa pérennité.
Les marchandes de feuilles en Haïti sont bien plus que des vendeuses de plantes ; elles sont les gardiennes d’un savoir ancestral, des praticiennes de la médecine traditionnelle, et des figures de confiance au sein de leur communauté. En honorant leur contribution, nous reconnaissons la richesse d’une tradition vivante qui continue de jouer un rôle vital dans la vie quotidienne des haïtiens. Célébrer leur savoir et leur expérience, c’est aussi respecter la nature et la sagesse qui en émane, permettant ainsi à cette pratique de perdurer à travers les âges.