Le 23 juin 2025, à New York, s’est éteint l’un des plus grands gardiens du patrimoine musical haïtien. Richard Duroseau, accordéoniste et pianiste de légende, laisse derrière lui une empreinte indélébile dans l’histoire du compas direct, dont il fut l’un des plus brillants artisans. À 85 ans, il tire sa révérence au moment même où le compas s’apprête à célébrer ses 70 ans d’existence.
Né vers 1940 à Port-au-Prince, Richard Duroseau a grandi dans un foyer imprégné de musique. Son père, Emmanuel Duroseau, musicien et luthier, fabriquait des violons, contrebasses et pianos dans un contexte où les instruments étaient rares en Haïti. Ce contact intime avec la musique, dès le plus jeune âge, façonne chez le jeune Richard une compréhension fine de la sonorité et de l’art de jouer.
Mais le destin frappe tôt : orphelin à l’âge de sept ans, il est recueilli par ses frères aînés, Mozart et Kreutzer, musiciens militaires dans l’Orchestre des Casernes Dessalines sous la présidence de Paul Eugène Magloire. Très jeune, à quatorze ans à peine, Richard Duroseau foule les scènes et fait déjà preuve d’un talent d’exception. Il rejoint rapidement l’Ensemble Nemours Jean-Baptiste, fer de lance du compas direct, où il forme avec Nemours Jean-Baptiste et Raymond Gaspard le célèbre trio surnommé « Les Trois Dangers ».
Dans les années 1950 et 1960, ce trio contribue puissamment à l’émergence et à la popularité du compas direct. Le jeu subtil et élégant de Duroseau à l’accordéon, sa précision rythmique au piano, sa maîtrise harmonique et sa discrétion raffinée l’imposent comme un modèle inégalé parmi les instrumentistes haïtiens.
Comme l’a si bien dit le journaliste musical Louis Carl Saint Jean :
« Haïti a perdu le modèle de l’instrumentiste irréprochable et hors pair… Le compas direct n’aurait jamais connu ses heures de gloire, ni accédé à ses lettres de noblesse en tant que genre urbain de danse, sans la virtuosité — j’ose même dire, sans le génie — de Richard Duroseau. »
Son influence dépasse sa génération. Duroseau a inspiré une multitude d’accordéonistes et de pianistes qui ont animé bals, fêtes populaires et scènes nationales dès la fin des années 1950. Il laisse un héritage immense, à la fois musical et spirituel, pour celles et ceux qui voient dans le compas non seulement un rythme, mais une mémoire vivante de la culture haïtienne.
Alors que le compas s’apprête à fêter ses 70 ans à la fin de ce mois de juillet, la disparition de Richard Duroseau marque une fin de chapitre, mais aussi l’occasion de revisiter avec gratitude l’œuvre de celui qui fut l’un de ses plus nobles bâtisseurs.
Richard Duroseau ne jouera plus, mais sa musique résonnera encore longtemps dans les cœurs, les archives sonores, et la mémoire collective d’Haïti.