Elle n’a jamais mis les pieds dans une école de coiffure. Elle n’a pas suivi de masterclass à l’étranger, ni appris les bases dans un salon luxueux. Non. Pour St Louis Chermene, que tout le monde appelle Chermie, tresser, c’est un don. Quelque chose qui lui est venu naturellement, sans calcul, sans plan. En 2013, elle tressait juste les membres de sa famille. C’était un plaisir, pas un projet. Rien de plus.
Un an plus tard, elle ose tresser une étrangère, avec rallonges. Elle n’était pas encore « professionnelle ». Elle ne maîtrisait pas tout. Mais elle y croyait. Ce jour-là, elle reçoit 150 gourdes pour son travail. Une somme modeste, mais pour elle, c’est comme un déclic. Elle comprend que ce qu’elle aime faire peut aussi devenir une façon de gagner sa vie.

À cette époque, elle est encore étudiante. Pas question d’avoir un local ou d’installer un salon. Alors elle se déplace. Parfois, elle quitte les cours pour aller tresser chez des clientes. Elle n’a ni boutique, ni miroir mural, ni enseigne. Juste ses mains, sa patience, sa passion. Et surtout, un rêve timide : devenir indépendante. Ne plus dépendre entièrement de ses parents.
Les clientes viennent doucement. Ce sont souvent des étudiantes comme elle, attirées par les coiffures qu’elle fait à sa sœur ou à ses amies. On commence à parler d’elle. On partage son nom. Et, petit à petit, les demandes augmentent.
En 2018, elle pose un lace pour la première fois. C’est une amie de la fac qui lui demande. Le résultat surprend tout le monde. Même si c’était sa première tentative, les gens trouvent que c’est bien fait. Très vite, plusieurs amies de cette cliente veulent aussi leur lace. Elle ne dit jamais non. Elle y va. Elle fait le travail, sans jamais trop se vanter. À cette époque, un message suffit pour fixer un rendez-vous : « Envoie-moi ton adresse, je viens chez toi. »
Mais en 2020, la pandémie de Covid change la donne. Par peur de la maladie, ses parents lui interdisent de continuer à se déplacer. Elle aurait pu tout arrêter. Mais elle décide de proposer une autre idée : tresser sous la galerie d’une maison que son père gère. Il accepte. Et c’est sous ce coin de galerie, sans confort, sans décoration, qu’elle continue à faire ce qu’elle aime.

Mais un jour, une remarque blesse profondément. Une cliente, qu’elle coiffe pourtant souvent, refuse qu’elle prenne une photo de sa tête. « Je ne vais pas me faire photographier sous ce vieux bout de galerie ! » lui dit-elle. Elle ne s’y attendait pas. Elle encaisse, elle rentre. Cette phrase-là va tout changer. Elle se dit qu’il est temps de prendre ce qu’elle fait au sérieux.
Elle s’achète une génératrice, demande à son père une chambre dans la maison, installe une glace, une chaise, et crée son propre espace. Rien de grandiose, mais propre, clair, à elle. Ce petit coin deviendra l’embryon de CSL, son entreprise, son identité. Et surtout, elle commence à se projeter plus loin.
En 2022, elle décide de partir de la maison familiale. Elle déménage à Vertières. Nouveau quartier, nouveau souffle. Très vite, elle attire plus de clientes. Sa réputation prend de l’ampleur. C’est là que commencent les premières propositions de séminaires. Elle hésite. Puis elle tente.
Son premier séminaire accueille trois participantes. C’est peu. Elle se décourage. Mais ses proches la poussent à recommencer. Deux mois plus tard, elle en rassemble sept. Puis dix-huit. Puis trente-cinq. Elle limite même les inscriptions, faute d’espace. Parce que ce qu’elle offre, c’est plus qu’un cours : c’est un partage d’expérience. Elle veut que ses élèves sortent avec quelque chose de solide. Elle donne tout. Chaque geste, chaque technique, chaque conseil.
À une époque où peu de coiffeuses du Cap organisaient des séminaires, elle était presque seule à oser. Certaines la voyaient comme une menace. Mais elle ne se préoccupait pas des critiques. Elle voulait former des jeunes femmes capables. Et elle le fait. Encore aujourd’hui, beaucoup de ses anciennes élèves tressent avec confiance et professionnalisme grâce à elle, et plusieurs d’entre elles continuent de suivre les activités proposées par CSL.
Mais le chemin n’a pas été sans douleur. Elle tombe gravement malade. Et c’est une cliente, un jour, qui lui dit : « Tu ne vas pas bien, tu devrais consulter. » Elle ne s’était même pas rendu compte de son état. Elle travaille, encore et encore, sans écouter son corps. Finalement, elle suit un traitement, guérit, reprend. Elle garde la foi. Elle croit en Dieu, et en ce qu’elle ne voit pas. Elle croit aussi que les grandes épreuves arrivent souvent quand on est sur la bonne voie.
Plus tard, elle quitte encore une fois sa zone, se sentant menacée. Elle s’installe à Bande-du-Nord. Et là aussi, elle se fait une clientèle fidèle. Les demandes augmentent encore. En parallèle, elle lance un projet de vente de produits pour lace, sous l’égide de CSL. Avec seulement 200 dollars US au départ, elle bâtit une petite structure. Aujourd’hui, elle achète pour plus de 2 300 dollars. Elle n’a pas fini. Elle a d’autres projets en attente. Elle avance, lentement, avec détermination.
Chermie n’a pas appris dans un grand institut. Elle n’a pas été poussée par les réseaux sociaux. Elle n’a pas crié partout qu’elle était la meilleure. Elle a juste travaillé. Elle a traversé les doutes, les critiques, les moments d’épuisement. Mais elle a tenu bon.
Son histoire, c’est celle d’une femme qui n’a pas attendu que le monde lui fasse une place. Elle a créé la sienne. À la force de ses doigts. À la sueur de sa patience. Et à la lumière de sa foi. Aujourd’hui, à travers CSL, elle continue de transmettre bien plus que des techniques de coiffure : elle transmet une manière de croire en soi, en silence, avec dignité.















